Existe-t-il une « malédiction des ressources naturelles » ? (2023)

Cet article est extrait de la revueDialogues économiquesédité parAMSE.

Que l'or soit jaune ou noir, lorsqu'un État creuse un trésor, cela signifie des revenus supplémentaires. Cependant, les économistes ont observé que les pays riches en ressources naturelles ont une croissance plus lente que d'autres pays similaires moins riches en ressources naturelles. C'est à la fin des années 1970 que la chose a été observée pour la première fois, avec des enquêtes sur un étrange "syndrome hollandais".¹.

Mal néerlandais

En 1959, les Pays-Bas ont découvert qu'environ 2 820 milliards de mètres cubes de gaz naturel étaient stockés dans leur sous-sol. En prévision de profits importants, l'État favorise l'exploitation de la ressource et des contrats d'achat sont signés.

Tout va bien pendant un certain temps, l'économie est en plein essor, mais avec la hausse des exportations, la valeur de la monnaie nationale, le florin, augmente également. Cependant, cela nuit à d'autres secteurs, notamment manufacturiers, et donc à la compétitivité du pays. En effet, l'appréciation de la monnaie fait monter les prix des biens manufacturés, les rendant moins attractifs sur les marchés internationaux. Le secteur industriel étant en mauvaise posture, le secteur gazier a tendance à se focaliser sur les activités nationales, ce qui aggrave le phénomène. Dans les années 1970, l'industrie néerlandaise s'était arrêtée et le chômage avait plus que triplé². L'exploitation du gaz a été plus dommageable que prévu. Cela ne se limite pas aux Pays-Bas, d'autres pays riches en ressources qui sont également infectés par cette «maladie hollandaise» perdent également en compétitivité. Alors que le syndrome hollandais met en évidence le rôle des ressources naturelles dans l'appréciation de la monnaie nationale et la mauvaise performance économique qui en résulte, d'autres mécanismes peuvent être à l'œuvre.

Venezuela, Nigeria, Algérie, Angola, République démocratique du Congo… Autant d'exemples qui semblent confirmer rétrospectivement que le pétrole ou les minerais peuvent freiner le développement économique des États. Les économistes qui étudient ce phénomène produisent une importante littérature sur ce qu'ils appellent la « malédiction des ressources naturelles », dont la maladie hollandaise n'est qu'une manifestation.

L'or noir gâche la croissance

Les mécanismes économiques et politiques pour expliquer les effets néfastes des ressources ne manquent pas. Les mines et les gisements sont souvent des activités de niche : l'exploitation minière est le fait d'une société majoritairement étrangère dont les bénéfices ne sont pas toujours suffisamment imposés par les gouvernements. Par exemple, la Zambie, grand producteur de cuivre, n'a pu imposer une taxe de 30 % aux sociétés minières qu'en 2011 (ce qui a doublé les revenus miniers du pays).³.

Cette industrie peut aussi augmenter le "coût d'opportunité" de l'éducation, notamment dans le cas des mines artisanales comme certaines mines d'or ou de diamants. La capacité à générer un revenu immédiat à partir de l'extraction de ces ressources peut alors faire passer l'éducation pour secondaire.

Enfin, la volatilité des prix des matières premières est une réelle préoccupation. En effet, lorsque le prix de la ressource est élevé sur le marché international, une fois que ce prix s'effondre, l'argent circule librement, l'économie aussi. De plus, la volatilité des prix tend à accroître la volatilité macroéconomique, ce qui est préjudiciable aux investissements.

Mais en plus des effets économiques, des mécanismes politiques sont aussi à l'œuvre : corruption généralisée, multiplication des conflits... La richesse s'accroîtfréquemmentdésirs.

Danger des mines !

La corruption est l'un des principaux problèmes liés aux ressources naturelles. En Angola, par exemple, l'économie repose essentiellement sur l'exploitation de ses ressources souterraines : le diamant et le pétrole, qui représentent 90 % des exportations nationales.⁴. Cependant, lorsque la croissance économique atteint des niveaux élevés, il en va de même pour la fraude et le détournement de fonds. Le pays est l'un des plus corrompus au monde⁵et 90% de l'économie angolaise dépend du marché noir. Des accords secrets entre les autorités et les compagnies pétrolières sont conclus sans égard pour le bien-être de la population⁶.

Les rentes tirées des ressources naturelles permettent également aux gouvernements d'éviter ou de retarder des mesures structurelles parfois impopulaires mais nécessaires. Au Venezuela, par exemple, une grande partie des revenus a été utilisée pour promouvoir des politiques sociales et redistribuer les richesses, sans nécessairement corriger les « fuites » (corruption, inefficacité, etc.). Lorsque le prix du pétrole a chuté, les caisses se sont vidées et le pays n'a pas pu poursuivre sa politique sociale.

Des conflits peuvent surgir entre la fraude et l'impopularité du gouvernement en temps de crise. En Angola, la guerre civile de l'indépendance a duré de 1975 à 2002.

Malgré tous ces faits, une étude de 2008 offre une perspective différente. La malédiction des ressources naturelles est-elle inventée ?

supprimer le sort ?

Dans les années 2000, cette malédiction a été contestée par plusieurs articles savants. En 2008, Christa Brunnschweiler et Erwin Bulte ont publié une étude empirique qui contredit cette notion de malédiction^sept. Son travail, ancré dans la pensée de l'époque, soutient que les résultats précédemment obtenus dans la littérature résultent souvent de raccourcis statistiques et d'un traitement imparfait des données.⁸.

Alors que de nombreuses études ont estimé la richesse en ressources naturelles par la part des exportations de produits de base dans le PIB (ou dans les exportations totales), ces auteurs notent que cet indicateur rend compte de la dépendance aux ressources naturelles plutôt que de la richesse. Ses recherches font la distinction entre la richesse et la dépendance aux ressources. Selon l'article, l'abondance des ressources favoriserait toujours la croissance. De nombreux pays comme l'Angleterre ou les États-Unis ont historiquement exploité leurs réserves de charbon, de gaz naturel ou de pétrole aux XIXe et XXe siècles pour soutenir leur développement.

Selon Christa Brunnschweiler et Erwin Bulte, la dépendance vis-à-vis des ressources, c'est-à-dire la focalisation économique principale sur les profits tirés des ressources minérales et de la richesse énergétique, ne nuit pas non plus à la croissance. Cette conclusion participe à la division de la littérature savante sur le sujet, interpellant Nicolas Clootens et Djamel Kirat. Les deux chercheurs décident alors d'essayer de reproduire les résultats de l'article, notant que ces résultats sont associés à des choix de modélisation discutables.⁹.

La malédiction réapparaît

En science, un résultat valide doit être reproductible. En utilisant le modèle de l'article de 2008, Nicolas Clootens et Djamel Kirat constatent qu'il ne rend pas compte d'une distinction entre les régimes de croissance, ce qui conduit à un biais dans les résultats. Ces auteurs proposent donc de regrouper les pays selon leur régime de développement. Pour déterminer une frontière entre les pays dits "développés" ou "en développement", il y a deux solutions : utiliser une valeur arbitraire, ou intégrer dans le modèle un calcul établissant l'affiliation d'un État à un régime de croissance plutôt qu'à un autre. En choisissant cette deuxième option, les économistes trouvent qu'il faut relativiser les conclusions de l'article de 2008^dix.

Leurs résultats montrent que la richesse des ressources naturelles dans les pays les plus pauvres stimule la croissance. Cependant, la dépendance reste préjudiciable à la croissance. Pour les pays ayant des niveaux de revenu plus élevés (c'est-à-dire au-dessus d'un certain seuil de PIB par habitant), la croissance n'est pas affectée de manière significative par l'abondance ou la dépendance à l'égard des ressources naturelles. Réduire la dépendance aux ressources naturelles en réutilisant la rente qu'elles procurent pour le développement de l'éducation, des institutions et des marchés financiers permettrait alors de bénéficier de l'abondance sans souffrir de la dépendance qu'elle peut engendrer. La richesse serait dans la diversité.

Relation

Castells-Quintana D., Dienesch E., Krause M., 2021, "La pollution de l'air dans un monde urbain : une vision globale des densités, des villes et des émissions." Économie écologique, 189

Remarques

1. "La maladie hollandaise." L'économiste. 26 novembre 1977. p. 82-83.
2. Renaud Lambert, 2016, „Étrange „maladie hollandaise““, Manual of Critical Economics, Le Monde diplomatique, 142-143
3. Moussa Dembélé D., 2015, « Ressources et stratégies d'exploitation de l'Afrique », La Pensée, 381, 29-46.
4. L'Angola est le plus grand producteur de pétrole d'Afrique et la quatrième source de diamants au monde. HAMMOND, JL (2011). La malédiction des ressources et les revenus pétroliers en Angola et au Venezuela. Science & Société, 75(3), 348-378.
5. Rapport 2003 de Transparency International sur la corruption dans le monde
6. HAMMOND, J.L. (2011). La malédiction des ressources et les revenus pétroliers en Angola et au Venezuela. Science & Société, 75(3), 348-378.
7. Ces auteurs ont remporté le prix Erik Kempe pour leur article, qui récompense les meilleurs articles publiés dans le domaine de l'économie de l'environnement et des ressources.
8. Brunnschweiler C. et E.H. Bulte, "La malédiction des ressources naturelles revisitée et révisée : une histoire de paradoxes et d'héroïnes rouges", Journal of Environmental Economics and Management, 2008, S. 248-264
9. Van der Ploeg, F., & Poelhekke, S. (2010). L'odeur piquante du "hareng rouge": richesse foncière, rentes, volatilité et malédiction des ressources. Journal d'économie et de gestion de l'environnement, 60(1), 44-55.
10. La première approche a été suivie dans un autre article et confirme leurs conclusions (Clootens N., Kirat D., 2017, "'A Reappraisal of the Resource Curse", Economics Bulletin, Volume 37, Issue 1, pages 12-18) .